Le choc culturel
(source : http://www.voyageplus.net/choc.html)
Henri Laborit affirme que « la culture n'est en définitive que l'ensemble des préjugés et des lieux communs d'un groupe humain et d'une époque ».
Ces préjugés et ces lieux communs, tous les hommes en sont affectés, partout, dans toutes les sociétés de la Terre. On peut renoncer à sa citoyenneté, à ses croyances, à ses idées, à ses amours et à ses biens, mais on ne peut pas renoncer à sa culture. Sa culture, on est «fabriqué» dedans. C'est, pour un être humain, l'équivalent du programme pour un ordinateur : ce qui lui permet de fonctionner. La difficulté d'intégration des immigrants de la première génération dans leur société d'accueil, que pourtant ils ont pour la plupart eux-mêmes choisie, en est la meilleure preuve.
Nous sommes programmés, tous autant que nous sommes. Dans nos horaires, nos habitudes alimentaires, nos tenues vestimentaires, nos conceptions de l'hygiène et de la santé, nos rapports avec nos biens. Nous sommes aussi programmés dans nos relations sociales, nos pratiques commerciales, nos rapports avec les administrations et les institutions. Nous sommes programmés enfin dans notre sens de l'esthétique, nos valeurs morales, nos convictions sociales, politiques ou religieuses. Les autres le sont aussi. Il ne faut donc pas se surprendre que la rencontre d'autres sociétés et d'autres gens programmés différemment entraîne quelques frictions.
- Sa nature
Le choc culturel, c'est le conflit mental, émotionnel et social qui surgit chez un individu lorsqu’il entre en contact avec d'autres manières de vivre, d'autres façons de s'organiser, d'autres pratiques, d'autres moeurs, d'autres valeurs et d'autres croyances que les siennes.
Le choc culturel peut prendre la forme d'un état d'esprit général ou surgir spontanément à l'occasion d'une circonstance particulière. Personne n'est jamais à l'abri d'une attaque soudaine de choc culturel et aucun aspect de l'organisation de la vie n'est sûr d'y échapper.
Le choc culturel peut survenir aux moments et sur les sujets les plus inattendus. Certaines attaques peuvent être fort violentes, comme la découverte de la répression de la police militaire sur des gens tout à fait innocents, et d'autres beaucoup plus anodines, comme la difficulté d'adaptation aux heures des repas.
- Ses symptômes
Les symptômes sont très faciles à reconnaître : une impression d'inconfort et de désarroi, une certaine lassitude, un manque d'appétit malgré la sensation de la faim, un sentiment de déception voire de désillusion, une certaine irritation qui peut aller jusqu'à l'agressivité et, surtout, une exacerbation dramatique de l'esprit critique. C'est parfois difficile à vivre, pour soi-même, pour ses compagnons de voyage et pour les gens que l'on croise sur sa route.
Tout le monde a, un jour ou l'autre, rencontré autour de chez lui un de ces visiteurs étrangers particulièrement désagréables. Tous ceux qui ont un peu voyagé ont déjà fréquenté un de ces touristes perpétuellement insatisfaits. La manifestation la plus évidente du choc culturel, c'est ça.
- Ses causes
Si le choc culturel prend racine dans l'étonnante diversité de la nature humaine, les causes du malaise qu'il provoque se situent en bonne partie dans la tête du voyageur. C'est toujours entre les deux oreilles que ça se passe, pour tout le monde. Le choc culturel est avant tout un état d'esprit causé par l'ignorance, le manque de préparation mentale, l'inexpérience ou tout simplement la difficulté d'adaptation
C'est un phénomène normal et inévitable. En être affligé n'est nullement un signe de faiblesse. C'est tout juste un signe de dépaysement. Pour certaines personnes, le choc culturel, c'est ce qu'il y a de plus difficile en voyage. Si on veut aimer le pays qu'on visite, il faut réussir à le dépasser. Et il arrive souvent que plus le choc est grand, plus intéressant est le voyage.
Au début, le choc culturel se confond facilement avec la fatigue du décalage horaire et le stress du voyage, qui ne sont jamais des circonstances particulièrement favorables au bien-être physique et à la vivacité d'esprit. Si le choc persiste après une ou deux bonnes nuits de sommeil, il faut s'empresser de réagir. Mais là comme ailleurs, il vaut encore mieux prévenir que guérir.
- Son traitement
Le choc culturel doit toujours être pris au sérieux. La façon de le gérer peut faire la différence entre un voyage raté et une expérience extraordinaire.
Le traitement préventif
- Contrer l'ignorance
Avant même de partir, on essaie de mettre toutes les chances de son côté. On se prémunit contre l'ignorance en accumulant quelques connaissances de base sur la destination que l'on a choisie.
On s'informe sur son histoire, qui marque toujours le présent d'un pays; sur sa géographie, qui explique beaucoup de contrastes culturels; sur son système politique, qui affecte le pouvoir de décision des gens et leurs rapports avec les autorités; sur sa situation socioéconomique, qui détermine la qualité de vie quotidienne d'un pays; sur son contexte religieux, qui influe considérablement sur les mentalités.
Aucune théorie ne peut préparer totalement au choc de la réalité sur place, mais l'acquisition d'un certain savoir dispose déjà plus favorablement à la rencontre de la différence.
- Accepter la différence
Dans le domaine des contradictions et des contrastes culturels, personne ne peut s'affirmer au-dessus de la nature humaine. Ça peut paraître simpliste, mais il faut pardonner d'avance à la société d'accueil d'être différente de la sienne et se pardonner à soi-même d'être dérangé par cette différence. Il n'y a pas de meilleure attitude mentale à adopter. Qu'on aime ou qu'on n'aime pas, le choc culturel est inévitable. Malgré les meilleures intentions du monde, il vaut mieux être réaliste et ne pas se croire à l'abri d'une possible attaque. La plus saine manifestation d'ouverture d'esprit consiste à admettre qu'on ne s'ouvre pas aussi facilement qu'on le voudrait.
- Souhaiter la différence
Il ne faut pas juste accepter la différence, il faut la souhaiter. Il faut partir avec l'idée que si la différence est dérangeante, elle est avant tout un avantage. Personne n'aurait l'idée d'aller faire ses achats dans un magasin qui n'offrirait qu'un choix limité de produits à ses clients. Pourquoi alors voyagerait-on avec l'idée de rechercher ailleurs ce que l'on trouve déjà chez soi? L'organisation humaine est un phénomène extrêmement mystérieux obéissant à toutes sortes de règles et de principes qui dépassent souvent notre capacité de compréhension. Il faut donc accepter d'avance de ne pas toujours comprendre et réaliser que derrière la difficulté de compréhension se dissimule un véritable trésor : la richesse de la nature humaine.
- Se méfier des apparences
Si la nécessité d'une bonne préparation mentale est évidente pour les destinations très contrastées par rapport au milieu naturel d'origine, elle l'est tout autant, sinon plus, pour les destinations qui lui ressemblent. La «crise» de choc culturel est d'autant plus menaçante qu'on ne se méfie pas. Le simple fait de sortir de son milieu habituel pour un certain temps implique pour une personne la nécessité de s'adapter à d'autres conditions de vie. Et la vie est faite d'une infinité de petits détails pratiques qui peuvent facilement devenir très agaçants quand il faut changer de points de repère, et ce tout spécialement dans un contexte étranger où l'on croit se reconnaître.
Le traitement curatif
L'expérience est encore le meilleur moyen de contrer le choc culturel. Les précédents voyages servent chaque fois à minimiser l'impact de la confrontation avec une nouvelle culture. A force de voyager, on finit même par ne plus retrouver cette sensation d'étrangeté si délicieusement déroutante et par la regretter.
Il n'est cependant pas indispensable d'avoir déjà voyagé pour se prémunir contre les effets pervers du choc cultuel. Une fois que l'on sait qu'il existe et qu'on s'y attend, on le reconnaît plus facilement quand il se produit. De la même façon qu'on affronte toujours mieux une situation quand on sait l'évaluer, on se défend toujours mieux contre un ennemi sournois quand on réussit à le débusquer. Et l'expérience prise sur place, au jour le jour, s'accumule vite quand on sait en tirer les leçons.
- L'adaptation
L'arme ultime pour contrer le choc culturel, c'est la faculté d'adaptation. Aucune préparation mentale, si soignée soit-elle, ne s'avérera suffisante. Aucune expérience précédente, aussi percutante soit-elle, ne convient parfaitement à la nouvelle situation. Il reste toujours des poches de résistance, des nuances ou des préjugés quelque part. La meilleure préparation possible n'éliminera donc jamais la nécessité d'une phase d'intégration culturelle.
Le choc culturel est un puissant révélateur. Il souligne les différences et éclaire les aspects sur lesquels on devra concentrer son attention. On peut s'en servir consciemment pour favoriser sa période d'adaptation.
- Faire des efforts
S'adapter ne se fait pas tout seul. Le voyageur doit fournir sa part d'efforts et de matière grise. Le processus d'acculturation exige que l'on renonce pour la durée du voyage à ses façons de faire et de penser habituelles et que l'on se conforme à de nouvelles règles. Il faut donc chaque fois se familiariser graduellement avec les manières et les mentalités, chercher à apprendre comment fonctionne la société d'accueil, garder l'esprit ouvert et éviter de porter des jugements hâtifs.
Le voyageur doit rester calme, se montrer conciliant, disponible et réceptif, faire preuve d’un peu d'initiative et ne pas craindre les expériences nouvelles. L'étranger ne semble inquiétant ou irritant que parce qu'il est étranger. Dès qu'il devient plus familier, il n'est plus inquiétant ni irritant. Des gens ordinaires vivent partout et se débrouillent partout. N'importe qui peut en faire autant. On peut réussir à fonctionner naturellement et confortablement dans un contexte qui, au début, paraissait très dépaysant.
- La responsabilité du voyageur
L'adaptation, c'est la responsabilité du voyageur, pas celle des gens chez qui il va. Le touriste étranger, d'où qu'il vienne et où qu'il aille, a spontanément le réflexe égocentrique de réagir comme si tout le monde était à sa disposition. Privé de son encadrement familier, il cherche inconsciemment à forcer les autres à le reconstituer pour lui. Comme ça ne marche jamais, il vaut mieux qu'il s'ajuste au nouveau contexte au lieu de s'angoisser ou de se mettre en colère.
Le choc culturel et le voyage organisé
Il faut être particulièrement vigilant quand on voyage en groupe. Ce dernier fait écran entre le voyageur et sa destination. Parce qu'il est déjà organisé, techniquement et socialement, le groupe peut paralyser l'effort d'adaptation sans prémunir du choc culturel. Cette paralysie peut avoir des conséquences extrêmement désagréables et entraîner vers une fausse solution, la recherche du confort au sein du groupe. Il faut donc rester maître de la situation, secouer le joug moral que représente le groupe et le quitter le plus souvent possible.
On ne doit laisser à personne d'autre le soin de décider de ses rapports avec le pays de sa destination. Il faut se ménager une marge d'audace et d'initiative, accepter de se confronter soi-même à des expériences différentes de celles que l'on ferait dans le cocon du groupe, sinon l'étranger restera étranger. A quoi sert de partir si c'est pour reconstituer ailleurs la société que l'on vient de quitter?
Les limites au traitement
Ceci dit, ni la préparation mentale ni la faculté d’adaptation ne vont régler tous les problèmes. Malgré la meilleure bonne volonté du monde, il ne faut pas espérer contrer tous les assauts physiques ou psychologiques de certaines sociétés étrangères. Il est des sensations de malaise auxquelles on ne s’adapte pas. Et c’est très bien ainsi. Quand nos valeurs profondes sont mises à mal, c’est parfaitement sain d’en être troublé.
Si la capacité d’émerveillement est un atout magnifique en voyage, la capacité d’indignation peut l’être tout autant. Mais alors que la première peut s’épanouir pratiquement sans contraintes, la gestion de la seconde demande de l’intelligence, de la maturité, de l’altruisme et une infinie délicatesse.
Pour alimenter votre réflexion, voir les excellents dossiers du Routard sur Le mal du pays et S’adapter.
Aide mémoire
Devant la différence :
- Rappelez-vous que le choc culturel existe, et qu’il est inévitable.
- Ne niez pas le choc culturel, apprivoisez-le.
- Encouragez-vous. Le choc culturel apporte sa propre récompense : il annonce toujours des expériences enrichissantes.